jeudi 21 juillet 2011

Une page d'histoire

Holocauste en Roumanie :

Traian Popovici, le juste de Bucovine

En Bucovine roumaine, durant la Seconde Guerre mondiale, sous la dictature du maréchal Antonescu, un homme a réussi à sauver des milliers de Juifs de la déportation et d’une mort certaine dans les camps de Transnistrie. Traian Popovici, maire de Cernăuţi, a reçu le titre de « Juste parmi les nations ». En 2012, un film avec Dustin Hoffman doit évoquer la mémoire de ce héros peu connu. Retour sur l’action de Traian Popovici à Cernăuţi.

Dustin Hoffman interprètera le rôle de Traian Popovici (1892-1946), maire de Cernăuţi (aujourd’hui Tchernivtsi, en Ukraine) pendant la seconde Guerre mondiale, dans le film « 20.000 saints », qui sera l’un des événements cinématographiques de l’année 2012. L’acteur américain, d’origine juive roumaine, tenait à rendre hommage à cet immense héros, non juif, dont la détermination et le courage ont permis de sauver 20.000 juifs de cette ville de Bucovine, alors roumaine et aujourd’hui ukrainienne, promis aux camps de la mort... La sortie du film sera précédée de la publication d’un livre retraçant cette épopée mal connue et oubliée.




Produit par la compagnie canadienne Veni Vici Entertainment Inc., le long métrage entend montrer comment, au péril de sa vie, le maire de Cernăuţi, l’une des plus belles cités d’Europe centrale, aujourd’hui située dans l’ouest de l’Ukraine, a réussi à tromper la vigilance des autorités d’occupation allemandes mais aussi roumaines de l’époque, dans leur dessin d’anéantir la communauté juive.

À lui seul, Traian Popovici [1] a sauvé treize fois plus de Juifs qu’Oscar Schindler, dont le film de Steven Spielberg, « La liste de Schindler », rapportait la manière extraordinaire dont cet homme d’affaires allemand avait sauvé ses employés des griffes des nazis et de leurs chambres à gaz. Avocat de carrière à Bucarest, Traian Popovici avait été « réquisitionné » en 1941 par le maréchal Antonescu pour appliquer sa politique dite de « roumanisation » à Cernăuţi, alors capitale de la Bucovine, roumaine depuis 1918.

Par ce terme de « roumanisation », le dictateur entendait l’élimination des Juifs, très nombreux dans la région - Cernăuţi était la ville roumaine comptant le plus grand nombre de Juifs, après Bucarest - en les envoyant dans les sinistres camps de la mort de Transnistrie, qui n’avaient rien à envier à Auschwitz. Le futur maire, alors âgé de 49 ans, n’avait jamais rencontré Antonescu - et avouera d’ailleurs n’avoir pas compris pourquoi il avait été choisi - sauf peut-être pour sa connaissance des lieux. Il était né à Udesti, dans une famille de prêtres orthoxes installés en Bucovine et avait fait ses études à Cernăuţi, se réfugiant à Bucarest quand les Soviétiques avaient envahi la Bucovine du nord et la Bessarabie, en juillet 1940, après le pacte avec Hitler.

Un laboratoire d’expérimentation idéologique raciale

La prise de contact avec la ville qu’il était chargé d’administrer fut terrible. « Je me trouvais au milieu d’un laboratoire d’une expérimentation idéologique raciale », confia-t-il plus tard. Sa première obligation fut d’ouvrir un ghetto. Le gouverneur de Bucovine, Alexandre Riosanu, l’un des rares à partager son indignation, l’aida à trouver une parade pour gagner du temps : prétexter auprès de Bucarest de la nécessité d’envoyer une mission en Allemagne et en Pologne pour étudier le savoir-faire des nazis dans ce domaine.

Malheureusement, le gouverneur mourut subitement, et Traian Popovici se vit flanquer d’un successeur, Corneliu Calotescu, particulièrement brutal, partageant l’idéologie antijuive ambiante, de surcroît encadré par Mihai Antonescu [2], ministre antisémite, qui effectua de nombreuses visites sur place pour vérifier si ses consignes étaient bien appliquées.

Quand il apprit les 10 octobre 1941 que la déportation de la communauté juive de sa ville était prévue dès cet l’automne, Traian Popovici se précipita à Bucarest. Faisant le siège du maréchal Antonescu, il réussit à le convaincre, notamment par des arguments économiques et afin d’éviter une situation de chaos à Cernăuţi, de « retoucher » son plan et d’épargner nombre de ses administrés. Les premiers trains où les déportés étaient entassés comme du bétail dans une cinquantaine de wagons, avaient déjà pris la direction des camps de Transnistrie et l’effroi était à son comble parmi les Juifs restés sur place.

Avec les dirigeants de leur communauté, le maire constitua dans l’urgence des listes de personnes indispensables à la bonne marche de la cité. Arpentant le ghetto, il rajoutait sans arrêt des médecins, des rabbins, des enseignants, des travailleurs, des commerçants, des artisans, des vieux, des femmes, des enfants qui, lors de ses visites s’agenouillaient devant lui, s’agrippaient à ses vêtements, remerciaient le "maréchal" pour sa clémence. « Ils pleuraient et je pleurais avec eux », confia plus tard leur sauveur.

Traian Popovici inventait tous les motifs pour allonger ses listes, retarder les départs, alors que nombre de convois s’accélérait, faisant fulminer le gouverneur et que ses sbires le menaçaient de représailles, téléphonant sans cesse à Bucarest. Il annotait à la main ses listes, inventant de faux degrés de parenté, des motifs inexistants pour justifier ses interventions, utilisant des tampons trafiqués...

Les « autorisations Popovici », synonymes de salut

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Une carte d’identité du ghetto de Cernăuţi

À l’automne 1941, Cernăuţi comptait encore 50.000 Juifs qui constituaient la majorité de la population. La communauté avait terriblement souffert, quelques mois plus tôt, de l’invasion soviétique. Le NKVD, ancêtre du KGB, avait débarqué dans la ville et déjà procédé à la déportation vers la Sibérie de 10.000 d’entre eux dans des wagons de marchandises fermés.

Chaque jour d’octobre, Traian Popovici se rendait chez le gouverneur Calotescu, lui présentant ses listes - 179 au total - lui arrachant finalement la vie sauve de 5.619 chefs de famille et 16.569 autres personnes... Beaucoup plus que les 200 initialement autorisées.

Finalement, les déportations s’arrêtèrent le 15 novembre - faute de Juifs « déportables » - le maire de Cernăuţi réussissant encore à tirer des griffes des autorités fascistes roumaines 3.120 autre personnes qui purent retourner chez elles, munies d’une « autorisation Popovici », alors qu’on s’apprêtait à les « charger » dans des wagons. Malheureusement, Traian Popovici fut démis de son poste, interdit de toute fonction publique, et remplacé par Dimitrie Gales, un antisémite notoire. Les déportations reprirent en juin 1942, concernant 4.139 personnes. L’action de Traian Popovici avait cependant permis de sauver plus de 20.000 de ses concitoyens juifs, mais 85% des déportés ne revinrent jamais de Transnistrie.

L’équivalent de 60.000 € pour avoir la vie sauve

Le gouverneur Calotescu et son administration ne se montrèrent pas toujours intraitables. Selon un rapport de la Siguranta, la police politique royale, 496 familles furent autorisées à rester dans le ghetto de Cernăuţi - leurs maisons avaient été souvent saccagées lors de 53 manifestations antisémites, ou occupées après qu’ils en aient été expulsés - moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Une autorisation pour avoir la vie sauve se négociait autour de 200.000 lei de l’époque, payables en dollars, en diamant ou en or, alors que le salaire mensuel d’un fonctionnaire était de 4000 lei. Cette somme représenterait aujourd’hui l’équivalent de 60.000 euros.

Traian Popovici est mort en 1946, à l’âge de 54 ans dans le village de Colacu, commune de Fundu Moldovei, près de Câmpulung Moldovenesc, où il est enterré. Un monument y a été élevé à sa mémoire. Israël lui a décerné le titre de « Juste parmi les Nations », honneur réservé aux non-Juifs qui ont sauvé des Juifs au péril de leur vie pendant la Seconde Guerre mondiale.

[1] Lire le terrible témoignage de Cartea neagra - Le Livre noir de la destruction des Juifs de Roumanie 1940-1944, par Matatias Carp, édition Denoël, février 2009, 703 pages, 27 euros.

[2] Mihai Antonescu, ministre du maréchal Ion Antonescu, n’avait aucun lien de parenté avec celui-ci. Les deux hommes furent jugés et fusillés le 1er juin 1946, à la prison de Jilava, le roi Michel leur refusant sa grâce sous la pression des communistes.

Source: http://balkans.courriers.info/article17781.html


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